SE PARFUMER EN TEMPS DE GUERRE

1998. Eté brûlant à Bagdad, fournaise habituelle associée à un embargo étouffant qui fait souffrir la population sans lever la chape de plomb du régime irakien.

L’homme est assis sur le trottoir, sous le soleil écrasant. Il paraît accablé, les épaules voûtées, porte des vêtements rapiécés, son visage est caché sous une longue barbe grise. Le regard fixe, il semble ignorer ce qui l’entoure, les rares voitures et passants. Parmi eux, un monsieur pressé approche à grands pas. L’homme assis sort soudain de sa torpeur et l’interpelle, mais sans agressivité, d’une voix éraillée, fatiguée : « Avant, moi aussi j’avais un travail, des responsabilités, je gagnais de l’argent… ». Le monsieur s’arrête et l’écoute avec attention. « Oui, avant, j’étais comme toi, j’avais une famille, des amis… Et puis … avant, j’étais bien habillé, comme toi je portais un costume, une chemise blanche, une cravate, des belles chaussures».  Des larmes muettes embuent son regard, son cœur pleure: « Et avant, je sentais bon comme toi, je prenais mon bain, j’allais aussi au Hammam, je me lavais avec du bon savon d’Alep… je me rasais tous les matins… je prenais soin de ma moustache… et je m’aspergeais de bonne eau de toilette, d’eau de rose, de jasmin, de fleur d’oranger… et je choisissais parmi mes parfums préférés venus de France celui qui accompagnerait ma journée ou mes soirées ».

L’homme baissa la tête, se cacha le visage derrière ses deux mains maigres et sales, puis il releva les yeux et avant un dernier sanglot, il hurla : « Avant… j’existais !!!! » 

Souvenir de guerre

Patricia TOME, journaliste, ancienne à l'ONU, membre de l'Association Patrimoine Vivant du Pays de Grasse

Texte rédigé en décembre 2015 à la demande de la rédaction en chef de www.savoirfaireparfum.paysdegrasse.fr